Par Cynthia Lisa Dubé,
inspirée des citoyens rencontrés le samedi 10 juillet 2021
À vol d’oiseau, sur les ailes d’un volatile majestueux, vous verriez que le territoire de Saint-Adolphe-d’Howard est une grande couverture verte pleine de relief, parsemée de taches bleues. C’est qu’il s’y trouve 85 lacs! L’oiseau plane le long de la rivière aux mulets, jusqu’au lac St-Joseph et ses deux îles, où se concentre le village. Il fait un détour au-dessus du mont Avalanche, une modeste piste de ski, survole le village et atterrit dans le parc Adolphe-Jodoin, juste à temps pour voir passer l’allumeuse de culture, Monique.
Monique se promène pendant la pause du dîner. Elle savoure la vue sur le grand lac. Elle croise des citoyens. Ils lui disent comme ils ont apprécié le cinéma en plein air la veille. Ils la félicitent pour tout le travail qu’elle fait au conseil municipal. Elle les invite à aller voir l’exposition d’Arts et culture Saint-Adolphe. Elle les remercie chaleureusement et se dirige vers la petite église bleue. Elle aime s’y asseoir pour écouter la musique classique et se recueillir. Soudain, Luka fait irruption dans l’église, l’air soucieux. «Avez-vous vu mon frère jumeau?» Monique ouvre les yeux et se dit que le petit blondinet est bien jeune pour se promener tout seul. Elle évalue son âge à cinq, six ans.
- Non, j’ai vu personne. Où sont tes parents?
- Ils sont partis pour la fin de semaine. C’est Luna qui s’occupe de nous.
Il regarde Monique d’un air coquin.
- Vous savez qu’ils ont trouvé une sirène là-bas?
- Ah oui? Monique lève les sourcils, amusée. Où ça?
- Là-bas, ils font des fouilles a-ré-cho-logi-ques.
Il détache chaque syllabe du nouveau mot qu’il a appris. Il a un petit doute, mais la dame semble avoir compris. Alors, il poursuit.
- C’est là que je devais aller avec Luna et mon frère, mais... je me suis retourné et ils n’étaient plus là!
Il jette un regard autour de lui, l’air désemparé.
- Bien, là, ils te trouveront pas si on reste à l’intérieur. Viens, on va aller voir ces fameuses fouilles-là. Ils sont peut-être arrivés au site. Il faudrait pas inquiéter Luna.
- Elle est jamais fâchée, Luna. C’est la personne la plus joyeuse de toute la terre! Moi, j’aime ça quand maman et papa s’en vont. C’est bien plus drôle avec Luna! Elle nous amène à la Ruche d’Art et à la plage. Elle nous raconte plein d’histoires. Elle en a même écrit une pour les Adolphines! Une fois, elle s’est perdue dans le mont Avalanche. Mais quand elle a regardé autour d’elle, elle a vu le clocher de l’église et elle a compris qu’elle était pas perdue. Elle m’a dit : «Luka, si tu es perdu, regarde dans le ciel et cherche le clocher bleu!»
En chemin, Luka étourdit Monique avec ses anecdotes, comme la fois où il s’est cassé le bras, celle où il s’est noyé. Monique l’interrompt alors qu’ils passent devant la bibliothèque.
- Bien, là, tu t’es pas noyé, tu es bien vivant aujourd’hui!
Luka lève les épaules comme si c’était du pareil au même.
- L’autre jour, dans le ruisseau chez moi, j’ai vu un orchestre de grenouilles, c’est vrai. Puis il y avait une grosse grenouille en avant qui montrait aux autres comment faire.
Monique n’a que le temps d’éclater de rire. Avant qu’elle puisse répondre, elle voit se diriger vers eux une jeune fille filiforme d’une vingtaine d’années. Elle porte des lulus qui rebondissent alors qu’elle accélère le pas.
-Luka, te voilà! Tu as encore voulu nous jouer un tour en disparaissant, hein! Bien pris qui croyait prendre, n’est-ce pas?»
Elle sort la langue et sourit à pleines dents. Elle s’adresse à Monique. Tout le monde connaît Monique.
- Venez avec nous. J’ai rencontré un homme fantastique qui a plein d’histoires à raconter. Il s’appelle Howard.
Se tournant vers le petit garçon :
- Ton frère Miro est avec lui.
Miro se précipite vers Luka. Il a déjà tant à lui raconter!
- Savais-tu que Jake le dragon et Rana ont déjà fait des spectacles à l’hôtel? Et le monsieur, là, il a déjà travaillé dans un cirque!
Monique, qui connaît les années glorieuses de l’hôtel, se souvient plutôt du passage de grands comédiens, tels Jeannine Sutto, Béatrice Picard et Olivier Guimond.
Howard est un homme d’une cinquantaine d’années qui porte une grande moustache. Il a interrompu son travail de fouilles et prend un visible plaisir à mettre des histoires plein les oreilles des garçons.
- Est-ce qu’on vous a déjà parlé de la mère aux chats?
Monique sourit. Qui ne connaît pas la mère aux chats? Howard poursuit, ravi d’avoir un public.
- Elle aimait raconter des histoires de peur aux enfants!
- Surtout quand ils venaient voler ses framboises, précise Monique. Mais les enfants l’aimaient quand même, ils prenaient plaisir à écouter ses histoires.
- C’était une grande chasseresse, une excellente pêcheuse. Mais elle était indépendante d’esprit, elle n’avait que faire des règlements. Elle pêchait et chassait quand ça lui chantait. Ce qui fait que monsieur le maire devait aller la libérer de prison à Sainte-Agathe, où les garde-chasses l’avaient amenée. Elle s’habillait en jute et elle avait peur de rien ni personne. Et vous savez pourquoi on l’appelait la mère aux chats?
- Parce qu’elle aimait les chats?
La réponse paraît logique à Luka.
- Elle les aimait tellement... qu’elle les mangeait! Elle disait au boucher : «Un chat est plus propre qu’un cochon!»
Luka et Miro affichent une expression de dégoût incrédule. Le premier préfère savoir ce qui se passe avec les fouilles et change de sujet.
- C’est quoi qu’il y a dans le trou?
- Ah, ça, ce sont les fondations de l’ancien magasin général Edwin Greene. On a eu besoin d’aide pour trouver la réponse. C’est Lise, la gardienne de l’histoire, qui a mené une véritable enquête pour obtenir l’information.
Monique a d’ailleurs aperçu Lise en kayak sur le lac quelques instants auparavant. Elle regarde Luka droit dans les yeux :
- Toi qui aimes raconter des histoires, tu devrais visiter Lise et sa collègue Odette, l’exploratrice généalogique. Un jour, ce sera toi qui raconteras les histoires de notre village.
Luka, pour une rare fois, reste silencieux. Il reçoit cette mission avec sérieux et se sent soudain comme un grand garçon. Monique poursuit :
- Lise a beaucoup de choses à raconter. Elle pourrait te parler de la base militaire du lac Saint-Denis du temps de la guerre froide, de Francistown, le village à l’origine de Saint-Adolphe-d’Howard, de la première colonie de vacances du Québec sur une île du lac Saint-Joseph.
Les mots dansent dans la tête du petit garçon et la curiosité s’installe au creux de son coeur. Cette fois, c’est lui qui se sent étourdi. Luna lui annonce qu’il est déjà temps de partir. Les jumeaux et la jeune fille s’en retournent donc à la maison. Lorsqu’ils passent devant le parc Adolphe-Jodoin, l’oiseau est reparti depuis longtemps et survole la rivière à Simon plus au sud et les nombreuses étendues d’eau de la vénérable municipalité de 138 ans, le petit paradis où chacun a son lac préféré.
Dans le cadre de la Tournée des auteurs organisée par l’Association des auteurs des Laurentides en collaboration avec la MRC des Pays-d’en-Haut, Cynthia Lisa Dubé (Les célèbres anonymes) a créé cette histoire à partir des réponses données par les citoyens de Saint-Adolphe-d’Howard le samedi 10 juillet 2021. Le public devait décrire un personnage réel ou imaginaire, présent ou passé et parler de ce qu’il aime de sa municipalité. Merci à monsieur le maire Claude Charbonneau qui nous a gracieusement offert le livre du centenaire pour nous inspirer, «Le présent du passé -Saint-Adolphe-d’Howard - 1883-1983» de Lucien Corbeil, Paul-Émile Guilbert et Jean-Guy Gratton. Merci à tous les citoyens qui se sont prêtés au jeu, vous avez été inspirants. Vous êtes tous de véritables conteurs et vous rencontrer a été un honneur!
© Mario Chabot, 2021
Bonjour Lise, le document vous a été envoyé par courriel! Merci :-)
Comment imprimer ou recevoir le texte.
Je suis la mêre du petit garcon qui voit l'église.
Merci d'avance.
Lise Villeneuve
villeneuve1515@gmail.com